Quand je repense aux
Enfants Tänner de Robert
Walser, une grande bouffée de légèreté me monte du bas-ventre.
Pas cette légèreté qui divertit, ce
spectacle cathartique et télévisuel qui permet d'oublier le
dimanche soir le fardeau qu'on rendossera le lundi matin, mais
cette légèreté puissante comme le vent qui arase les terrains
encombrés de ruines : morale, devoirs, travail, finalités.
Simon n'est pas la figure du raté sympathique, du gentil rêveur :
il est un élément à l'état nu, un flux. Le reste, l'habillage,
c'est-à-dire les mots et les comportements, ne sont que les
attributs de cet élément, les motifs du moteur, et ils peuvent
varier selon les situations. Deux choses : il y a ce mouvement
primordial – ou sous-jacent, comme on voudra – que les humains
figurent et tentent de dompter, sous forme de totem ou dans des
tableaux abstraits, en dieux ou en éthiques, comme s'il n'était pas
précédent à eux, mais second ; puis il y a les manifestations
circonstanciées de cette énergie dans la société : ce qu'on
appellera les « caractères », les « agencements »,
les « situations ». Walser, dans une écriture enlevée
qui répugne à la correction (ça, c'est ce qu'on sait
historiquement), met en scène cette force pure dans des
circonstances étroites, voire étriquées, presque sous forme
allégorique, et loin de condamner le relativisme de Simon, il va
même le couronner par une cette rencontre féminine finale (figure féminine très "fin-de-siècle"). Les
contradictions ne sont pas synonymes de lâcheté, mais de
sensibilité et d'intelligence, cette intelligence qui ne se complaît
pas dans la ratiocination mais se construit selon les rapports (inter
legere, c'est
surtout « créer
des liens »). De cette
fraîcheur bienveillante tellement elle est généreuse (et le don de
soi, l'anti-thésaurisation de soi aboutit nécessairement à la
bienveillance envers les autres et les autres choses) affleure
presque un délire jubilatoire qui
est aussi un délire jubilatoire noir (je
pense à cet épisode du voyage nocturne
de Simon). Et
ce serait bête de nier la noirceur de la plus grande joie, car la
plus grande joie est aussi une solitude et la plus profonde des
nuits.
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