lundi 23 mars 2015

"Les Enfants Tanner" de Robert Walser (1907)

             Quand je repense aux Enfants Tänner de Robert Walser, une grande bouffée de légèreté me monte du bas-ventre. Pas cette légèreté qui divertit, ce spectacle cathartique et télévisuel qui permet d'oublier le dimanche soir le fardeau qu'on rendossera le lundi matin, mais cette légèreté puissante comme le vent qui arase les terrains encombrés de ruines : morale, devoirs, travail, finalités. Simon n'est pas la figure du raté sympathique, du gentil rêveur : il est un élément à l'état nu, un flux. Le reste, l'habillage, c'est-à-dire les mots et les comportements, ne sont que les attributs de cet élément, les motifs du moteur, et ils peuvent varier selon les situations. Deux choses : il y a ce mouvement primordial – ou sous-jacent, comme on voudra – que les humains figurent et tentent de dompter, sous forme de totem ou dans des tableaux abstraits, en dieux ou en éthiques, comme s'il n'était pas précédent à eux, mais second ; puis il y a les manifestations circonstanciées de cette énergie dans la société : ce qu'on appellera les « caractères », les « agencements », les « situations ». Walser, dans une écriture enlevée qui répugne à la correction (ça, c'est ce qu'on sait historiquement), met en scène cette force pure dans des circonstances étroites, voire étriquées, presque sous forme allégorique, et loin de condamner le relativisme de Simon, il va même le couronner par une cette rencontre féminine finale (figure féminine très "fin-de-siècle"). Les contradictions ne sont pas synonymes de lâcheté, mais de sensibilité et d'intelligence, cette intelligence qui ne se complaît pas dans la ratiocination mais se construit selon les rapports (inter legere, c'est surtout « créer des liens »). De cette fraîcheur bienveillante tellement elle est généreuse (et le don de soi, l'anti-thésaurisation de soi aboutit nécessairement à la bienveillance envers les autres et les autres choses) affleure presque un délire jubilatoire qui est aussi un délire jubilatoire noir (je pense à cet épisode du voyage nocturne de Simon). Et ce serait bête de nier la noirceur de la plus grande joie, car la plus grande joie est aussi une solitude et la plus profonde des nuits.

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